Le consommateur en amitié
Dans toutes les occasions, "il mérite mieux". Il a toujours besoin de montrer qu'il veut plus, et de t'expliquer ce qu'il va faire pour l'obtenir. Façon "self made man". Souvent, c'est uniquement lourdingue, surtout quand le sujet de ses ambitions professionnelles ou encore de la différence entre le "vin de soif" et le "bon vin" creuse une demi-heure de conversation. Ce n'est pas son meilleur trait de caractère mais on l'aime bien. Les autres depuis l'adolescence, moi depuis quelques années. C'est un chouette gars avec des valeurs humaines cachées derrière tout ça.
Pour le reste, on a clairement pas la même vision de la vie - qui consiste pour ma part à travailler sérieusement mais moins et ne pas parler boulot dès que l'occasion se présente de parler d'autre chose, mais pourquoi pas? Les différences, c'est enrichissant, non?
Sauf que de moins en moins. Surtout depuis qu'il devient "travailleur-consommateur" en toute occasion. Niveau "je travaille beaucoup et je consomme de la qualité sinon rien".
Et surtout, ça devient vampirisant.
Pour le nouvel an, on avait imaginé un buffet composite où chacun amène quelque chose. Il avait fait la moue et demandé "est-ce qu'on commanderait pas chez un traiteur?", parce que quand même:
"On (je) travaille beaucoup, on (je) gagne de l'argent aujourd'hui, on (je) a plus 20 ans, on (je) a droit à une certain level de qualité, on (je) n'a plus à descendre plus en-dessous".
Il avait plus ou moins dit qu'il s'occupait du traiteur et qu'on ferait ça chez lui. Résultat: on a fait ça chez nous et on a cuisiné avec une amie pour toute l'assemblée. C'était pas grave, parce que c'était sympa, marrant et convivial de préparer tout ça ensemble.
Haaa, la convivialité, c'est trompeur...
Au point qu'il nous a fallu plusieurs expériences de la sorte pour se rendre compte que certes, c'est convivial, mais que ce sont toujours les mêmes qui participent à cette convivialité. Lui émet un cadre d'exigences, puis vient poser les pieds sous la table et nous gratifier de sa satisfaction. A partir de là commence sa soirée entre amis à la hauteur de ses attentes.
Depuis, il remet le principe du "je (on?) le vaut bien" sur le tapis à la moindre occasion, de manière totalement décomplexée.
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On prévoit une soirée dégustation alcoolisée où chacun amène une bouteille?
"Quelqu'un n'irait pas chercher toutes les bouteilles, pour qu'on soit sur d'avoir des goûts différents? "
Non, ce n'est pas l'idée.... Mais passons. Si il y tient, à cette idée, il va sûrement proposer d'aller chercher les bouteilles.
Mais en fait non, aucune proposition ne suit.
Par contre, oui, il y tient à cette idée, parce qu'il n'hésite pas à se montrer contrarié et légèrement désagréable:
"Enfin, moi, je dis juste que ça risque d'être nul mais bon..."
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Le débat n'est pas "être ou ne pas être pour la méritocratie". J'ai d'ailleurs un avis plus que nuancé sur la question. D'autant plus qu'en l'occurrence, le mérite est ici pris par le petit bout de la lorgnette, à savoir son application uniquement matérialiste.
Non, le souci, c'est l'application de l'idée de mérite (ou "Je le vaux bien" - l'Oréal inside) dans des domaines où elle n'est pas du tout à sa place. Comme en amitié par exemple. Surtout quand on ne s'implique pas.
Quand on est plus de 4, les rendez-vous ressemblent toujours un peu à une auberge espagnole. Sinon, ça veut dire que quelqu'un s'est tapé tout le boulot. Ou alors, que ce soir, on va au resto.
Et justement, j'ai parfois l'impression qu'en acceptant ses requêtes sous prétexte que "pourquoi pas, ça paraît être une bonne idée" (les bonnes idées, c'est aussi trompeur que la convivialité), nos soirées entre amis ressemblent de plus en plus à toutes les autres activités qu'il pourrait faire en sortant du boulot: aller à la salle de sport, au resto ou au cinéma. Et nous, on commence à ressembler à l'ouvreuse, au cuisto, au serveur ou au coach sportif.
Il ne vient pas à une soirée entre amis, il attend d'être diverti. Ou alors, c'est peut-être juste qu'il mélange: il vient à une soirée entre amis ET attend d'être diverti et comblé à hauteur de ce qu'il pense valoir.
Le "citoyen-travailleur-consommateur" de base est un sans-gêne, surtout quand ce fameux triptyque envahit tous les pores de sa vie...
Illu: The self made man.
Celui qui se sort d'un bloc de pierre.
Mais c'est trompeur: c'est le sculpteur qui fait le self made man ;)
(Et la parade, allez-vous me demander?
Parce que dénoncer c'est bien, mais après, qu'est-ce que t'en fais? :p
En gros: en prendre conscience et dès ce moment là, ne plus jamais s'impliquer dans une activité avec plus d'énergie que ce qu'on avait prévu d'y mettre au départ. Je pense que cela peut être une bonne ligne de conduite (de l'ordre du réflèxe) pour être sûr de ne plus se laisser avoir.
C'est en tout cas celle que j'applique.
Et aussi attendre encore quelques mois, avant de ré-évaluer si on a encore vraiment des choses interessantes à partager, au-delà de ça...)