La volatilité de la mémoire vive
J'ai perdu mon disque dur externe. Celui qui contient la sauvegarde de ma thèse.
Enfin, la réalité est plus complexe que ça.
J'ai caché mon disque dur externe.
Au cas où passerait par là un voleur spécialisé, au hasard, dans l'effraction d'appartements occupés par des chercheurs en fin de doctorat et le vol de chapitres entièrement rédigés, bien que comportant encore quelques notes en bas de pages un peu aléatoires. Et que ce voleur vise le créneau des deux seuls jours de vacances à l'étranger de cette admirable race de travailleurs de l'extrême. J'insiste sur la description précise du voleur de mon angoisse car elle contraste fortement, depuis que j'ai entamé cette rédaction, avec la nonchalante confiance qui est mienne habituellement, celle-là même qui ne me fait fermer la porte de l'appartement à clé qu'une fois sur deux quand je vais faire une course de moins d'une heure.
Et je ne le retrouve plus, mon disque dur.
Mon appartement me paraît très grand et empli de recoins sombres et encombrés dans lesquels il est difficile de repérer au premier coup d'oeil une petite boite noire de 8 centimètres sur 12, depuis.
Alors je procède logiquement.
Si mon but était de cacher ce disque dur à la vue du type de voleur sus-cité, pour garder intact mes chances de terminer ma thèse, j'ai du le mettre dans un endroit autre que celui où j'ai laissé le support de la version première et originale (dont ce type de voleur est particulièrement friand également).
C'est-à-dire mon ordinateur.
Léger souci : je ne sais plus dans quelle pièce j'ai laissé mon ordinateur avant de m'envoler pour Barcelone. A ma décharge, j'étais particulièrement angoissée à l'idée de prendre l'avion après avoir zappé sur trois journaux télévisés relatant le crash de la Malaysia Airlines et être tombée inopinément sur la charmante émission intitulée Air Crash de National Geographic Channel.
Qu'à cela ne tienne, n'éliminons aucune pièce de l'appartement (ça aide).
Et concentrons nous, en toute logique toujours, sur les lieux dans lesquels un voleur n'irait pas fouiller. Si j'ai fait preuve de bon sens, j'ai forcément du dissimuler l'objet dans un endroit improbable (ça aide, bis). Un endroit où il n'y a rien à voler. Plutôt le bac de chaussettes sales que le tiroir qui contient les 1000 dollars de manettes de jeux de Spéculoos, en somme. Ou loin de son édition numérotée de la reproduction de la carte de Ferraris (quoiqu'un voleur isolé n'aurait pas pu emporter le disque dur ET cet atlas de 12 kilos. Il aurait du choisir. Et dieu sait qu'il est difficile de résister au plaisir de tourner les pages de l'une des premières cartes détaillée des Pays-Bas autrichiens)(d'après Spéculoos).
Cependant, j'ai du mal à convaincre mon équipe de recherche (composée de Spéculoos, d'un lapin nain qui ne reconnaît pas une carotte quand il en voit une et de moi-même) de la fiabilité de mes raisonnements logiques. Ils savent, eux, qu'avant d'aller ouvrir le tiroir dans lequel se trouve habituellement mon disque dur et de ne pas l'y trouver (effroi), je n'avais même aucun souvenir, pas le moindre, d'avoir ressenti le besoin de le cacher et d'être passée à l'acte entre la vérification du nombre de mes petites culottes propres placées dans la valise et l'impression des tickets d'entrée de la Sagrada Familia.
Je fais ce que je peux, j'ai envie de dire. Déjà que ça fait plusieurs semaines que je vais à la piscine accompagnée pour être sûre de retenir le numéro de ma cabine (le numéro qui est sur la porte à côté de celle ouverte par ma camarade de sport, à coup sûr).