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Les filles sages vont au paradis, les autres où elles veulent
15 mai 2013

Joie et allégresse, nous avons acheté une voiture...

oui oui

Dans l'ensemble des choses désagréables ou non qui ont surchargé le début (quoi, la moitié, déjà, vous êtes sûrs?!) du mois de mai, il y a l'achat d'une voiture. 
Je n'ai pas encore réussi à classer cette activité du côté agréable. Ni désagréable d'ailleurs. 
Ce fut un achat mûrement réfléchi. Il a effectivement fallu nous armer de toute la certitude que nous avions bien réfléchi pour surmonter le déplaisir à contracter un prêt et à payer un acompte qui divise notre épargne et notre espérance de vie en deux pour polluer et encombrer l'agglomération bruxelloise alors que jusque là, on était très heureux. 
C'est que, malgré l'indéniable facilité qu'apporte une voiture (vous remarquerez que je ne dis pas "liberté", mot que le prosélyte du 4 roues motorisées - n'importe quel-le pote-sse qui a son permis et une voiture - essaye de substituer à "facilité" pour te convaincre en une seule phrase que 1) c'est super 2) sans, tu es un assisté), j'ai la désagréable et persistante impression de céder à la pression sociale et d'acheter ce véhicule pour les autres plutôt que pour nous.

Aujourd'hui, je vais laisser s'exprimer le côté obscur de la (bientôt ex-) non-motorisée que je suis. Je vais dire ce qui se cache derrière les "merci beaucoup" aux conducteurs qui nous emmènent de temps à autres. Je vais décrypter pour toi comment cette pression sociale s'installe, en mettant le doigt sur des conversations et des situations qui n'ont lieu que dans une voiture, dès que tu es invité à y prendre place. Je vais même pousser le vice jusqu'à te montrer, en les transposant dans un autre contexte, à quel point ces conversations et ces situations sont inappropriées. 

(florilège des pires, sans inclure la pression de la famille. Sachez que malgré mon portrait à charge, nous connaissons des conducteurs très sympas aussi)

Ce qu'il se passe sur le siège passager d'une voiture, quand tu n'as pas ton permis/une voiture, ou les deux:

- Tu entres dans la voiture pour un trajet Bruxelles - Liège (c'est-à-dire entre une et deux heures selon le trafic) et la moitié de la conversation tourne autour de ton statut de non-motorisé. Cette situation a 90% de probabilité de se produire, tous conducteurs confondus. C'est du vécu, promis.
Après avoir répondu aux questions d'usage (non, le train ce n'est pas désagréable, tu peux lire ton bouquin. Oui, les transports en commun bruxellois, c'est cher mais c'est toujours moins cher qu'une voiture), d'autres affluent, reformulées, plus pernicieuses. Tes hôtes s'acharnent. "Oui mais quand même, c'est pas facile. Regarde: là, tu es dans ma voiture. Si on ne t'avais pas emmené...". En fait ils essayent de te faire avouer que tu es dépendant. Même si à la base, tu avais prévu de prendre le train. Ils ont pour mission de te faire réaliser, en même temps qu'il t'amènent à faire pénitence, qu'avoir une voiture c'est mieux

C'est un peu comme si la voisine venait t'emprunter du sucre et que tout en acceptant de la dépanner, tu lui disais "alors, comme ça, on est mal organisée? Les placards ne sont pas toujours plein? C'est pas bien ça, faudrait veiller à faire un effort. Faut faire des listes avant d'aller faire les courses, hein, ma petite dame! Vous faites des listes quand même, dites-moi?". Apparemment, le service rendu dit "du trajet en voiture" a besoin d'être avilissant pour celui qui l'accepte. Un peu comme si avec ton permis et ton contrat d'achat, tu recevais aussi des points de paternalisme à distribuer à tes amis. 

- Entendre dire par quelqu'un qui ne peut plus aller chercher le pain sans prendre sa voiture que c'est nous qui sommes dépendants (des autres. Car nous n'avons ni permis ni voiture). Variante: la même personne dépendante de sa voiture insinue que la voiture représente un coût, dont nous nous dispensons alors que elle, elle le paye. Sous-entendu: elle le paye pour nous également, si nous y posons nos fesses ne fut-ce qu'une fois l'an, espèce de profiteurs. Il parait évident que si nous n'étions pas de tels assistés, cette personne se serait passée de voiture. Pour aller chercher son pain à pied, par exemple. 

C'est un peu comme si je disais que le loyer que je paye pour avoir un grand appartement, c'est uniquement pour accueillir les fêtes entre amis dès que nous sommes plus de 10 (fêtes qui se passent donc régulièrement chez nous, vu que nous avons de la place) et qu'ils m'en sont tous redevables. 

- La personne qui te propose tout le temps de te ramener de soirée parce que même si c'est à 15 min de chez elle en transport en commun, elle est venue en voiture. Et qui dans un deuxième temps évoque régulièrement qu'être le Bob* de service, c'est chiant (ce que je veux bien croire). Petit à petit les rôles sont distribués et le déséquilibre s'accentue, entre cette personne qui met des limites à sa fête, et toi, le/la raccompagné(e) qui accepte le service qu'elle te propose. Tu culpabilises à ses plaintes répétées et tu en viendrais presque à oublier que tu avais prévu 20 euros dans ton portefeuille pour le taxi et que tu ne comptais pas sur elle. 

* surnom de la personne qui ne boit pas d'alcool en soirée, selon une campagne de pub de la sécurité routière en Belgique.

- Les amis qui quittent la ville pour aller habiter à la campagne: il m'est arrivé de me sentir coupable, avec toute cette pression de la voiture, de ne pas arriver facilement jusque chez eux par mes propres moyens et de devoir demander de l'aide. Jusqu'à me rappeler que la voiture n'est pas une évidence ni une obligation. Eux ont choisi un mode de vie avec voiture et nous, sans. Pourquoi dans cette histoire devrait-il y en avoir un qui a raison et l'autre qui a tort? Pourquoi la difficulté d'arriver jusque chez eux ne nous encombrerait-elle pas de façon égale?

- Recevoir l'étonnement de ton pote que tu viens aider à déménager/faire des travaux en prenant le train. En entendre parler pendant des jours comme si tu avais fait un exploit et en même temps un truc un peu chiant, parce qu' il a du venir te chercher à la gare. Mais n'entendre personne souligner que de tous ses autres potes, pourtant motorisés, personne n'a fait le déplacement pour lui filer un coup de main depuis qu'il a décidé de changer de vie et de ville.   

- Parler d'argent sans états d'âmes. Personne n'osera s'exclamer dans un repas: "Quoi, tu ne pars pas en vacances à l'étranger chaque année!!?!", par respect (et méconnaissance d'ailleurs) du niveau de vie de chacun. Par contre, pour une somme égale voire largement supérieure, personne n'a de problème à dire " Vous devriez passer le permis et acheter une voiture!".

voiture

Face à cette pression, j'ai testé plusieurs tactiques

* Il fut un temps, j'avais décidé de prendre toujours le taxi et les transports en commun et de ne plus jamais me laisser raccompagner. Non pas pour prouver l'infaillibilité de ma méthode (elle a des inconvénients, tout comme le fait d'avoir une voiture) mais pour ne plus avoir à supporter ces attitudes qui me faisaient grincer des dents.
Problèmes
- Je me suis heurtée à l'incompréhension. Comme évoqué plus haut, prendre le train peut paraître un exploit pour certaines personnes. On doit se justifier, assurer que tout ira bien, convaincre que cela ne nous pose pas de problème. Bref, c'est l'occasion d'une conversation à ralonge (qui inclut elle aussi des considérations sur le fait d'avoir ou non une voiture, on y échappe pas) et ce n'est pas vraiment le meilleur lubrifiant social. 
- Une politique entière de transports en commun est ressentie comme agressive, prise comme un affront. Refuser répététivement la serviabilité est mal pris.
Conclusion:
Toi, le non-motorisé, tu agaces les gens qui ont une voiture mais ils te veulent à leur merci. Il faut que tu t'asseyes dans leur voiture et que tu les écoutes énumérer les raisons qui font de toi un assisté et eux des personnes libres comme des poneys sauvages.

* Il fut un temps ou j'essayais d'exprimer que cette pression sociale me tapait sur le système. 
Problème: ça ne se fait pas.
Conclusion: sois polie, dis merci. 

Je ne dis pas que nous n'avons jamais eu besoin de la voiture d'un ami. Je ramène juste ça à sa juste proportion. Pour moi, il n'y aucune raison que les services rendus avec 4 roues et un moteur aient plus de valeur que les services que nous leur rendons dès qu'ils ont besoin d'un coup de main pour l'une ou l'autre chose. Mais c'est sans compter l'aura de toute-puissance accordée à la sacro-sainte voiture dans notre société. En réalité, les fois où nous avons vraiment eu besoin d'une voiture ces dernières années se comptent sur les doigts d'une seule main. Cette idée de dépendance (la nôtre, les sans-voiture), largement sur-estimée, est socialement construite sur des évidences de consommation qui n'en sont pas.

Bref, on a acheté une voiture. Et quand j'analyse les raisons de ce choix, c'est à 80% pour faire taire les potes (et mon agressivité grandissante à leur égard), à 10% pour voir des gens qui nous sont proches mais qui sont loin (bien qu'on les voie déjà régulièrement) et à 10% pour notre projet de fonder un jour une famille à Bruxelles (je dis à Bruxelles parce qu' à Amsterdam par exemple, les gens qui ont des enfants n'achètent pas forcément une voiture, il aménagent leurs vélos). Spéculoos a une autre répartition, sans être en complet désaccord avec l'analyse.

Bref, on a acheté une voiture. Et vous croyez que toutes ces conversations ont cessé du jour au lendemain? 
Point du tout!
Il nous faut encore endurer la transition. Ce moment où on s'entend dire de façon répétée sur le ton de la boutade: "Ha, enfin, c'est pas trop tôt!".
Ensuite, il faudra endurer une forme de punition sociale et collective (personne ne se posant de question sur sa légitimité à imposer ce genre de punition à ses semblables) pour toutes ces années sans voiture et effacer notre ardoise en devenant le Bob de service pour un bout de temps.

Comprenons-nous bien: c'est avec plaisir que j'entrerai un jour bientôt dans la ronde des services rendus avec une voiture, mais sous cette forme, ça me dérange un peu. 

 

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Commentaires
N
Par ailleurs, ils sont cohérents avec leur souhait de nous voir enfin motorisés: ils ne ménagent pas leurs heures de conduite accompagnée pour compléter les 20h d'auto-école ni leur disponibilité pour nous aider à aller chercher notre voiture chez le garagiste. Ce n'est là qu'une des multiples manifestations qu'on peut toujours compter sur eux, et souvent sur des sujets bien moins polémiques :)
N
@ Kim: <br /> <br /> Dans l'ensemble, ce blog ne leur rend pas vraiment justice, aux amis :)<br /> <br /> Là, j'ai rassemblé le pire du pire des expériences sur des années mais en réalité, les gens qui nous entourent ne cumulent pas autant. Et ce billet fait peu de place à la réelle volonté de rendre service ou au "c'est trop bête, prend pas le train, viens je t'emmène" souvent réellement présent à la base avant qu'en une seule phrase de prosélyte convaincu, le curseur penche du côté de la culpabilisation...
K
T'as quand même des potes bizarres hein :-)<br /> <br /> Moi j'en ai une mais je pouvais m'en débarrasser, je le ferais volontiers! J'ai 3 écoles et c'est toujours plus simples à gérer avec une bagnole. Sans compter le broll que je dois me trimballer. C'est simple, pendant les vacances, elle ne bouge presque pas! En fait, elle ne bouge que pour les courses que je ne fais qu'une fois toutes les semaines ou les 2 semaines (un sac Ikéa rempli... Si je ne compte pas la lessive, le lait, etc.).<br /> <br /> C'est un trou sans fond de dépenses ce machin!<br /> <br /> Et puis si j'avais dû te co-voiturer, tu aurais été bien heureuse: je n'aime pas trop parler en auto. J'ai trop l'habitude de conduire seule. Du coup, c'est généralement le passager qui fait la conversation ^^
M
Formidable billet.<br /> <br /> Je suis quant à moi dans une situation similaire à celle de Stella (voiture peu voire très peu utilisée - mais ce matin j'étais bien contente d'en profiter plutôt que de nous faire rincer ma mouflette et moi sur le chemin de l'école, où 95 fois sur 100 nous allons à pied, ce qui continue d'étonner pas mal de parents qui pourtant n'habitent pas forcément plus loin que nous, genre 1 km, soit 20 minutes à pas d'enfant) ET adepte du vélo (ou des transports en commun en cas d'obstacle météorologique majeur) pour mes déplacements quotidiens à Bruxelles.<br /> <br /> Oh, et oui, mes parents étaient du genre à ne pas envisager autrement qu'en bagnole une course même à petite distance.
L
Ah donc il n'y a pas que moi en fait ! Je l'avoue, je m'énerve sur les gens qui me saoulent avec leur permis/leur voiture dès que j'entre dans leur carrosse multifonctions. "Ah tu devrais le passer, ça rend la vie simple" Oui je devrais claquer 1500 euros de permis, 300 euros d'assurance, xxx euros de réparations et contrôle technique, xxx euros d'essence, sans compter l'achat de la-dite voiture. C'est chouette d'avoir une voiture ma foi, avec tous ces sous, je n'irai jamais me dépayser à l'étranger, mais j'aurai un cube de métal sur roue, cool ! Même qu'un jour l'essence coûtera 5€ le litre, siiiiiii, et là vous (les avec-voitures) vous serez bien contents d'avoir une voiture qui ne roule pas mouahahaha !! <br /> <br /> Du coup, un jour, j'en ai eu ras-les-aiguilles, je me suis acheté un vélo, je suis rebelle moi ! Mon vélo et moi nous nous entendons très bien , nous nous voyons chaque jour, nous gardons la forme ensemble, nous pouvons faire les courses ensemble grâce au panier et au porte-bagage intégrés (hé hé moi aussi J'AI du multifonction), et surtout, nous passons partout dans les embouteillages en ricanant devant les automobilistes (un par voiture, 'achement écolo c't'affaire !). Mon vélo et moi nous prenons même le train ensemble. Si si c'est possible, même que je tricote dans le train. <br /> <br /> <br /> <br /> Bref, tu viens de passer du coté obscur !! Un jour, ce sera toi qui diras " ah tu devrais avoir une voiture, ça change la vie" en allant chercher ton pain , tu verras *o* <br /> <br /> <br /> <br /> Sans-voiture et sans-papier-rose forever ♥ <br /> <br /> <br /> <br /> (j'exagère un poil, mais ça se voit à peine non ? ^^)
Les filles sages vont au paradis, les autres où elles veulent
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