Du choix d'un prénom canin

Ma grand-mère est aux anges. Elle s'achète un chien, avec le consentement familial - ce qui ne fut pas une mince affaire- et grâce à une santé qui parait à nouveau de fer. Autant dire que lorsqu'elle m'a appelé pour me l'annoncer, la carte postale que je lui avais envoyée une semaine plus tôt représentant les hôtesses de l'expo 58 est passée totalement inaperçue, alors qu'en temps normal une telle attention suffit à la combler de bonheur. 

Je sais donc de qui tenir, quand la perspective d'un bébé chien est à deux doigts de me faire perdre tout sens commun à moi aussi. Je sais aussi de qui tenir quand ma grand-mère m'annonce qu'elle a fait une crise de foi à 70 ans passé parce que "elle a mangé trop de chocolat". Ce ne sont là qu'une partie des choses, positives ou négatives mais particulièrement tyranniques, que cette femme distinguée et gourmande m'a légué, sachant que j'ai en partie été élevée par elle (le lot de beaucoup d'enfants dont les parents bossent). A sa façon, à savoir comme si j'allais devenir Miss Belgique...cuvée 1960. Féminité un rien exigeante et une certaine forme de féminisme pragmatique, le tout matiné de beaucoup de fierté. 

Fin de la parenthèse...ceci dit en passant...

Son choix s'est porté sur un téckel, race qui fut déjà l'objet de quelques uns de ses amours passés. Je pense d'ailleurs que Patapouf n'était pas innocent dans le soin qu'elle prenait à réunir pour moi la collection complète des "Martine", de brocantes en vides-greniers, à la recherche des anciennes éditions.

Ma grand-mère s'implique toujours beaucoup dans le choix du nom de ses animaux de compagnie et c'est souvent un beau mélange d'originalité et de distinction. Elle a le chic pour offrir un patronyme qui colle comme une seconde peau aux chiens les plus improbables, comme lorsqu'elle prénomme son bassert artésien normand (une version moins pendante et gravitationnelle du basset hund Hush Puppies) "Mortimer".

A la fin des années 1960 - début des années 1970, elle a résumé l'esprit d'une époque en appelant sont téckel "Pompidou". C'est effectivement un président français mais lorsque cette présidence vous concerne de manière toute relative, c'est surtout une suite de syllabes savoureusement rondes et bondissantes. Et je suppose que ça devait être encore plus savoureux aux oreilles de mon grand-père néerlandophone...

Aujourd'hui, en cette année du K, elle s'est trouvée fort démunie. Elle a tergiversé un moment et penche pour Kévin. Pour une fois, j'ai l'impression qu'une partie de l'originalité de ce choix lui échappe. Quoique, ma grand-mère nous étonne toujours. Elle a peut-être prévu d'exploiter le caractère décalé du prénom en adoptant un deuxième chien appelé Brian et une chatte appelée Jessifer. Personnellement, j'adore...